AVOIR OU NE PAS AVOIR UNE STRATEGIE !
Michel Peyret
A priori , les différences d'approche ne me gènent
pas , au contraire j'ai plutôt tendance à les considérer
positivement , non seulement elles provoquent le débat qui est souvent
un approfondissement , mais elles sont souvent des aspects différents
d'une même réalité et elles permettent de la mieux cerner
dans sa complexité .
En effet , quand on essaie de faire «l'analyse concrète
d'une situation concrète» ( Lénine ) , nous sommes souvent
confrontés à nombre de contradictions , et dans chacune de ces
contradictions il y a deux contraires , à la fois unis et opposés
. Si l'on admet cela , on conçoit que dans une situation donnée
il y ait des caractéristiques différentes , sinon opposées
. Elles s'opposent mais elles sont dans la même réalité
. En conséquence , les uns peuvent privilégier telle ou telle
composante d'une situation , et les autres telle ou telle autre . Il convient
de prendre en compte l'ensemble pour avoir une analyse quelque peu sérieuse
d'une situation particulière . On voit combien on a besoin de considérer
toutes les opinions pour faire «l'analyse concrète d'une situation
concrète» ...
LE PROGRAMME COMMUN .
L'expérience du programme commun , c'est assez
compliqué à appréhender . Quand il s'est agi de le ratifier
, en juillet 1972 si mes souvenirs sont bons , il y a eu une réunion
du CC de l'époque . Louis Baillot qui nous en faisait le compte rendu
lors d'une réunion du secrétariat fédéral nous disait
que le CC s'était longuement interrogé pour savoir s'il fallait
ou non le ratifier . Je ne comprenais pas le pourquoi de ces interrogations
: depuis des années nous battions pour le faire accepter par le PS qui
n'en voulait pas , et quand les conditions étaient enfin réunies
pour la signature , nous avions de grosses hésitations ! J'ai compris
quelques semaines plus tard quand , à la réunion de Vienne de
L'Internationale socialiste , Mitterrand s'est justifié devant ses pairs
en disant qu'il avait seulement l'objectif de nous piquer 3 ou 4 millions d'électeurs
! C'était un bel éclaircissement !
Je ne pense pas qu'il y ait que moi qui ai compris alors la
duplicité de Mitterrand , et dès lors le souci affiché
a été d'essayer de sortir de ce piège qui se confirmait
comme tel . On a alors essayé de faire monter les enchères pour
éviter que le PS tire parti du fait qu'on l'avait aidé à
se refaire une virginité politique tant il s'était discrédité
sous la 4eme République et dans l'avènement de la 5eme . Nous
avons échoué et , effectivement , le PS a progressivement remonté
la pente avec un langage de «gauche» affirmé . Mitterrand
n'a pas mégoté là-dessus, il faut l'avoir entendu se prononcer
de façon tout à fait convaincante pour la «rupture avec
le capitalisme» , mais oui , mais oui ! Et , après avoir recupéré
progressivement de l'audience , c'est en 1981 , lors de l'élection présidentielle
, que le PS est , pour la première fois depuis la Libération ,
passé devant nous de façon nette et Mitterrand a été
élu Président de la République en suscitant d'immenses
espoirs qui seront loin de trouver satisfaction !
L'ELECTORALISME ?
L'électoralisme a-t-il été le principal
défaut de toute cette période ? Certes , nous avons gagné
nombre de municipalités aux élections de 1977 , mais dès
après l'élection de Mitterrand , notre audience électorale
a continué à décroître , jusqu'à 10% environ
en 1988 , c'est-à-dire juste avant les évènements à
l'Est . Sans doute a-t-on pensé que l'audience de certains élus
était susceptible de conforter l'audience du Parti , cela a pu être
le cas là où nous dirigions , mais ailleurs c'est le PS qui a
bénéficié du travail que pouvaient faire nos élus
qui ont très rapidement renoncé à faire vivre ce que l'on
a appelé le «communisme municipal» , l'identité communiste
, pour des gestions de «gauche» où tous les chats étaient
gris .
L'INCAPACITE STRATEGIQUE .
Cependant , je pense que le principal défaut
de l'époque , de toute cette époque , des années et décennies
qui ont suivi jusqu'à nos jours , a été «l'incapacité»
à «inventer» une stratégie qui aurait permis de sortir
du piège qu'était effectivement le programme commun .
Les causes de cette «incapacité» ? Sans
doute les interrogations lors de la ratification en 1972 ont-elles continué
à exister et à alimenter une bataille dans les «hautes sphères»
. Ces débats et leur nature ne parvenaient pas jusqu'en bas , sinon sous
une forme édulcorée dégagée de l'ampleur de l'enjeu
. Ce n'est pas d'aujourd'hui , ni de cette époque , qu'il existe deux
vérités dans le parti , l'une pour un cercle restreint de «dirigeants»
, limité au Secrétariat et au BP et à quelques autres initiés
, et une autre , différente , diffusée à la «masse»
du parti . Tant que Marchais a été là , certes le parti
a continué à payer l'erreur , certes Marchais a essayé
de maintenir une ligne «révolutionnaire» mais pas sans que
les débats restreints ne l'infléchissent dans un sens ou dans
l'autre selon les moments . Comment expliquer qu' après toute une époque
passée à travailler sur «un socialisme aux couleurs de la
France» qui était sans doute la stratégie alternative manquante
jusqu'alors , avec les mots d'ordre de «rassemblement populaire majoritaire»
et celui de «primauté au mouvement populaire» , on en revienne
lors du voyage à Moscou au «bilan globalement positif» et
à l'approbation de l'intervention en Afghanistan ? Comment expliquer
que Marchais contribue à désigner Robert Hue comme son successeur
alors que celui-ci ne tarde pas à se caractériser par une mutation
, qui m'apparait alors nécessaire pour renouer avec la construction de
l'alternative dont j'ai parlé , avant de s'afficher puis de se confirmer
en 1997 et le gouvernement de la gauche plurielle de plus en plus clairement
comme une social-démocratisation qui conduira les ministres communistes
à cautionner une des politiques de gouvernement qui aura le mieux servi
les intérêts des capitalistes , notamment et entre autres en battant
des records de privatisations ! Peut-on l'expliquer sans penser que les affrontements
sur la «ligne» se poursuivent «en haut» , la masse des
adhérents n'étant toujours pas informée des débats
réels mais un nombre croissant se posant toutefois des questions ? Quand
les tendances à la social-démocratisation l'ont-elles emporté
sur celles hostiles à cette ligne ? En tout cas , en réunion du
CC , Marchais ne tarde pas à «montrer au créneau»
contre Robert Hue : peut-on penser qu'il «s'est fait avoi» ? Ou
bien qu'il a subi le rapport des forces entre tendances qui existent mais ne
sont toujours pas officiellement reconnues ? Je pense que l'on ne sait pas encore
tout de ce qui est , comme je l'ai indiqué , un fonctionnement à
«double vérité» , ou plutôt avec une vérité
dissimulée qui exprime les véritables objectifs des «dirigeants»
et un mensonge flagrant diffusé sous la forme d'un «arrangement»
politique plausible pour la masse du parti qui est loin d'imaginer ce double
jeu mortifère dont elle est victime sans le savoir .
LE CENTRALISME DEMOCATIQUE ?
Alors , le «centralisme démocratique»
dans ce contexte ? Ou plutôt dans ce système qui conduit à
faire avaliser en permanence cette pratique de «double vérité»
par le parti ? Comment qualifier ce système ? On comprend que , centralisme
ou pas , la démocratie en est exclue , c'est une sorte de farce tragique
permanente qui permet à quelques individus de manoeuvrer en permanence
l'ensemble des communistes dupés !
Aussi , je considère qu'il est de première importance
d'en finir avec ce système de tromperie permanente qui commence d'ailleurs
à parvenir à ses limites . Il y a beaucoup à inventer pour
en sortir , pour que les communistes aient le certitude qu'il y est mis fin
. Et cela ne va pas être facile : les nombreux courriers que je reçois
montrent que , pour l'essentiel , le plus grand nombre de communistes demeurant
«encartés» continue à fonctionner à la confiance
, sans trop de poser de questions malgré les catastrophes électorales
. Oserai-je les critiquer ? J'ai fonctionné de même pendant longtemps
et je ne sais pas trop encore par quels cheminements je suis parvenu , je parviens
progressivement , à percer ce double fonctionnement dont j'ai trop longtemps
ignoré l'existance , ou que je ne voulais pas voir .
DES COMMUNISTES MAÎTRES DE LEUR PARTI ...
Cette prise de conscience me conduit à m'orienter
vers un concept qui relativise quelque peu les débats autour de la verticalité
et de l'horizontalité : il convient , c'est une condition majeure , déterminante
, que les communistes deviennent les véritables «maîtres»
de leur parti , ou du type de formation dont ils se doteront et qui devra refléter
cette exigence ! Sans doute faut-il produire un travail plus approfondi sur
ce que je viens de développer . L'épisode dont je parle par ailleurs
relatif à la façon dont Kanapa manoeuvre le parti au moment du
débat sur la «dictature du prolétariat» n'est qu'un
épisode d'une longue histoire qu'il convient d'écrire pour parvenir
à une prise de conscience généralisée , à
une vigilance permanente qui rende impossible toute «délégation
de pouvoir» .Il ne faut plus rien déléguer, les communistes
doivent être en permanence en mesure de décider . Certainement
le généralisation de la pratique et de l'utilisation de Internet
devraient y contribuer . Il convient aussi de donner une dimension inconnue
jusqu'alors à la formation . Là encore il conviendra d'inventer
, mais déjà plus de 60% d'une classe d'âge obtient le baccalauréat
...
...POUR CHANGER DE SOCIETE ET DE CIVILISATION .
Au fond , à ce moment , j'ai déjà
répondu de fait à ta question : «Pourquoi rêver d'un
autre PCF» ? Tout simplement parce que ces pratiques constitutives du
parti , qui fondent son essence , ne peuvent perdurer , le peuple français
a besoin d'autre chose pour réaliser ses espérances , qui plus
est au 21eme siècle . C'est l'ensemble de l'outil , son coeur , sa matrice
qu'il convient de changer , on ne peut se contenter de mettre quelques «rustines»ou
«emplâtres» . Je ne sais si le concept de «révolution
culturelle» conviendrait mieux pour caractériser la profondeur
des changements à effectuer .
Et aussi parce que on ne va pas seulement changer de société
mais aussi de civilisation . Cela a été le cas lorsque l'on est
passé de l'esclavage au servage de la féodalité et de la
royauté , puis du servage au salariat capitaliste qui a évolué
vers le «fordisme» , une forme de capitalisme productiviste maltraitant
tout autant les hommes que la nature , même si les circonstances , l'existence
du «socialisme réel» , a obligé d'y rajouter une dose
de la doctrine de Keynes .Je pense qu'il convient d'entendre les voix autorisées
, toujours plus nombreuses , qui disent leur inquiétude quant au présent
et à l'avenir de notre planète . De toute façon , la fin
annoncée du pétrole ne peut simplement conduire à une révolution
énergétique qui reste pour l'essentiel à définir
, c'est toute la vie qui va en être changée , à commencer
par l'aménagement du territoire , une relocalisation des productions
, une autre forme de mondialisation , des bouleversements dans les transports
, le logement , les modes de production industrielle et agricole ...Prendre
la dimension de ce qui va être la source principale des préoccupations
des peuples dès maintenant et ces prochaines décennies conduit
à considérer que parler de changement de civilisation n'est pas
une exagération , il faut en prendre toute la dimension pour bâtir
véritablement un «autre monde» .
REVOLUTIONNER LE TRAVAIL .
Le PCF , tel qu'il est aujourd'hui , est-il en mesure
de donner cette dimension civilisatrice à son projet ? Là encore
, pas de rafistolage possible . Pour reconquérir une audience , la nouvelle
force communiste , ce n'est pas à moi de la définir même
si j'ai quelques idées , doit porter ses objectifs de lutte à
cette dimension , c'est l'état même de la société
qui l'exige . Et elle ne pourra le faire qu'en symbiose étroite avec
le peuple français et dans les coopérations , les échanges
et les solidarités avec tous les peuples du monde . Oui , un autre monde
est nécessaire et possible .
La moindre des révolutions ne sera pas celle que devra
connaître le travail , à tel point qu'il doit disparaître
en tant que travail salarié . où en sont les réflexions
sur cet enjeu considérable ? Pourquoi le PCF ne s'est pas saisi plus
tôt de cette dimension essentielle de l'apport de Marx ? Pourquoi a-t-on
ignoré si longtemps «Le droit à la paresse» de Paul
Laffargue qui , déjà , à la fin du 19 siècle , considérait
que 3 heures de travail par jour étaient largement suffisantes ? Bref
pourquoi le Pcf en est-il resté au «fordisme» et à
Keynes et a-t-il de fait abandonné Marx sur l'un de ses fondamentaux
? Et cela alors que la notion de revenu social , de revenu d'existence a commencé
à devenir réalité et a été travaillé
par d'autres !
DONNER LE POUVOIR AU PEUPLE .
Alors oui , pour faire tout cela , il convient non point
de prendre le pouvoir mais de le donner au peuple .En commençant par
la propriété qui en est la condition première . D'où
le concept d'«appropriation sociale» , pièce maîtresse
du changement de société , et qui , pourtant n'a jamais encore
mis en application , ni en France avec les nationalisations/ étatisations
, ni avec cette forme de capitalisme d'Etat qui s'est développé
à l'Est sous l'égide des Partis / Etats .
Le pouvoir du peuple ? Comment travaille-t-on cela ?
Il y a l'appropriation sociale qui lui donne la maîtrise
des richesses produites . Et il y a aussi un autre concept «marxiste-léniniste»
, le dépérissement de l'Etat , lequel est en régime capitaliste
le deuxième pouvoir qui lui permet d'imposer ses dominations , exploitations
, aliénations à l'ensemble des salariés . Il convient en
conséquence d'enclencher ce processus de dépérissement
de l'Etat vers l'auto-administration de la société .
Et comment institutionalise-t-on le pouvoir du peuple ? Sera-t-il
suffisant de revenir à la proportionnelle pour redonner au suffrage universel
toute la valeur qui lui a été confisquée par le capitalisme
? Certes , l'appropriation sociale couplée au dépérissement
de l'Etat créée une situation tout à fait nouvelle . Le
pouvoir du peuple est ainsi inscrit dans toutes les sphères de la société
. Mais c'est un processus qui s'engage à partir de la situation actuelle
. A quel rythme ? Y aura-t-il des résistances ? Si le pouvoir du peuple
est institué , la dictature du prolétariat , même sur une
brève période , est-elle nécessaire ? Le peuple disposant
de l'essentiel des pouvoirs réels ne peut-il pas prendre souverainement
et démocratiquement toutes les décisions destinées à
faire respecter ses choix majoritaires ?
Dans ce processus , en effet , rien n'est enchanté ,
il s'agit de la lutte des classes , d'un affrontement politique vif , aigu .
Mais déjà aujourd'hui , dans les faits , ce sont les travailleurs
, les salariés qui produisent et qui gèrent , ils constituent
92% de la population active , et dans le rassemblement majoritaire qui peut
s'effectuer n'y a-t-il pas déjà les gestionnaires de demain ,
lesquels sont en fait ceux d'aujourd'hui mais qui gèrent en fonction
de critères qui ne sont pas les leurs , établis qu'ils sont en
dehors d'eux par les propriétaires capitalistes .
AVOIR CONFIANCE DANS LE PEUPLE .
Au total , j'ai confiance . J'ai confiance dans les
capacités du peuple qui , aujourd'hui , à 61%, considère
le capitalisme comme négatif . Ce peuple doit se donner la force politique
organisée capable de l'aider à contruire un projet de société
/ civilisation et à le mettre en oeuvre . Aujourd'hui , cette force politique
n'existe pas .
Sur les deux ou trois dernières décennies , le
PCF a fait la preuve de son incapacité à définir une stratégie
politique correspondant aux évolutions de la société .
Avant même que s'engage la période programmatique dont il n'est
pas sorti , le peuple français lui avait déjà donné
deux forts avertissements , en 1958 et en 1968 . Non seulement ils n'ont pas
été pris en considération mais la perte de l'initiative
stratégique perdure . Sans doute sera-t-il également nécessaire
de faire la part de ce qui est extérieur à lui-même dans
ce manque cruel :jusqu'en 1991-92 , une part de la vérité non-dite
était dans l'existence des pays du «socialisme réel»
.A la Libération, le PCF s'est inscrit dans l'acceptation des accords
de Yalta qui le condamnaient à une sorte de souveraineté limitée
résultant du partage de l'Europe en zones d'influence . Et quand ces
accords deviennent définitivement caducs , le PCF n'est déjà
plus en mesure de reprendre l'initiative stratégique . Manifestement
, dès lors , c'est la tendance qui ne croit plus au communisme qui a
pris le dessus dans le cercle étroit des décisions réelles
. La social-démocratisation du PCF s'accélère et , cessant
dans les faits d'être communiste , cela étant perçu comme
tel par son électorat , il voit son électorat fondre jusqu'à
moins de 2% tandis que le nombre de communistes sans carte devient plus important
que celui des encartés .
PROJETER LES FONDAMENTAUX DANS CE SIECLE .
Et il faut faire naître une nouvelle force communiste
par un retour aux fondamentaux qu'il convient de projeter dans le 21eme siècle
. Pour imager , il faut convoquer Marx à cette renaissance et se mettre
au travail en liaison étroite avec le peuple .
C'est l'objectif des Assises .
Contre les tendances qui obèrent la démocratie
, les communistes doivent être les «maîtres» du processus
de renaissance et d'unification qu'elles constituent , je partage tout à
fait ton appréciation . Merci de m'excuser d'avoir été
si long . Je pense que ce n'est pas perdre son temps que de le prendre pour
essayer de déterminer au mieux le niveau des objectifs à se donner
, de prendre la hauteur nécessaire , non point pour s'éloigner
des réalités , mais au contraire pour bien mesurer que ces réalités
impliquent aujourd'hui de se donner le changement de civilisation comme objectif
. Bien évidemment , il s'agit là d'un processus et il y a des
mesures à prendre dans l'urgence en essayant de faire en sorte qu'elles
ne soient pas en contradiction avec l'objectif final .
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